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4 juillet 2022

Regards croisés d’experts pour le 2ème volet du Baromètre 2021

REGARDS CROISÉS D'EXPERTS BAROMÈTRE 2021 - VOLET 2 FRANCE TUTELLE

Au lendemain de cette période électorale et dans la perspective des prochains débats concernant les aidants familiaux et la protection judiciaire,  France TUTELLE vient de présenter les résultats du volet 2 de son baromètre 2021, « Regard(s) des Français sur la vulnérabilité et la protection juridique de leur proche ». Les résultats de ce baromètre sont sans équivoque et méritent d’être questionnés. C’est pourquoi afin d’éclairer et mettre en perspective ce baromètre, l’association a réalisé trois interviews d’experts : Eric Martin, Juge des Contentieux de la Protection à Alençon, Gilles Raoul-Cormeil, Professeur de Droit Privé à l’Université de Bretagne Occidentale et Aïda Sadfi, Directrice Générale d’APREDIA – Société d’études indépendante.

Focus sur ces regards croisés d’experts, interviewés par Laetitia Fontecave, directrice, et Federico Palermiti, Conseiller Technique de France TUTELLE.

De votre point de vue, quels paradoxes mettent en lumière les résultats de ce baromètre ?

Eric Martin juge des contentieux de la protection Eric Martin – Le devoir moral des familles que vous relevez est une réalité dans ma pratique. Il fait apparaître un antagonisme fort. Il s’accompagne presque toujours d’inquiétudes et de doutes comme le montre également votre étude. Ces craintes concernent principalement les risques encourus. A mon sens, cette problématique rejoint celle de l’information. Plus les familles sont sensibilisées aux conséquences de leur mission, plus les doutes et les réticences peuvent être rapidement dissipés. Cela pose également la question du moment et du lieu où cette information devrait être délivrée. Lors de l’audition, lorsque les familles sont anxieuses et parfois même apeurées par l’institution judiciaire, est-ce le moment le plus opportun ? Je n’en suis pas certain. C’est pourquoi, je tends à privilégier, autant que faire se peut, le déplacement à domicile. Votre baromètre fait également apparaître que seuls 14% des personnes interrogées semblent savoir comment déposer une requête. Ce chiffre est inquiétant et il questionne notre capacité collective à informer et sensibiliser ces familles, d’autant qu’il existe sur les territoires de nombreux dispositifs et sources d’information.

Gilles Raoul-Cormeil, Professeur de Droit Privé à l’Université de Bretagne OccidentaleGilles Raoul-Cormeil – Les résultats de votre baromètre mettent en évidence, et l’on peut s’en réjouir, une vraie conscience juridique de la part des personnes interrogées. Elles semblent manifestement avoir conscience du devoir familial et de la responsabilité juridique liés à leur mission. Paradoxalement, ces personnes semblent ignorer un principe bien connu en droit qui est posé à l’article 1992 du Code Civil :
lorsque l’on exerce une mission à titre gratuit, on engage in fine sa responsabilité, de manière marginale, contrairement à l’exercice de la mission à titre onéreux par les professionnels. Cela ne veut toutefois pas dire que tout abus ne sera pas puni. Nous sommes ici dans une logique d’obligation de moyens et non de résultats, sauf manquements graves aux intérêts de la personne protégée. Ce paradoxe rejoint celui relatif à une éventuelle allocation par l’État aux familles. Il y a, à mon sens, là également une méconnaissance du devoir familial. En France, la solidarité étatique est subsidiaire, elle n’intervient qu’à défaut de solidarité familiale. En revanche, penser cette question à travers notamment une politique fiscale incitative pour les aidants pourrait s’avérer une approche pertinente.

Aida sadfi - Directrice Générale d’APREDIA – Société d’études indépendante Aïda Sadfi – Les acteurs du champ financier et patrimonial me semblent prendre progressivement conscience du véritable enjeu sociétal que représente la vulnérabilité. Si l’on regarde l’exemple des conseillers en gestion patrimoniale que je connais bien, je suis persuadée que beaucoup d’entre eux sont confrontés d’une manière ou d’une autre à ces sujets, sans d’ailleurs avoir nécessairement de solutions adéquates face à des situations humaines parfois complexes. Compte tenu du nombre grandissant de personnes concernées, il est certain que cet enjeu mérite d’être davantage appréhendé par l’ensemble de la profession. Il peut d’ailleurs être une formidable occasion de poursuivre les efforts, encouragés par la législation actuelle de leur secteur d’activité, en matière de développement de la dimension conseil dans leurs métiers. Avant d’être des experts du chiffre dans leurs spécialités, ce sont des professionnels du conseil. C’est en tout cas un des enseignements que je tire de votre baromètre puisque les Français interrogés affirment vouloir se tourner prioritairement vers des métiers du chiffre et du droit pour les accompagner dans l’exercice d’une mesure de protection.

 

Quelles réflexions vous suggèrent les résultats de ce baromètre concernant la primauté familiale ?

Gilles Raoul-Cormeil, Professeur de Droit Privé à l’Université de Bretagne OccidentaleGilles Raoul-Cormeil – Les récents chiffres de la Justice de 2020 ont mis en évidence une révolution : la famille exerce aujourd’hui plus de la moitié des mesures de protection. Six mesures sur dix sont assumées par des proches aidants. La première raison est la tendance des juridictions à faire prévaloir le principe de primauté familiale lors de la désignation des tuteurs et des curateurs au bénéfice des familles. La seconde raison concerne l’explosion du nombre d’habilitations familiales depuis 2020, notamment durant la pandémie. Ce nouveau dispositif est aujourd’hui une réalité qu’il conviendrait de mieux analyser pour en tirer les enseignements et tendre vers une harmonisation des modalités de protection par la famille.

Eric Martin juge des contentieux de la protectionEric Martin – Dans ma pratique, une des phases capitales avec les familles s’avère être l’audition. Elle permet d’entendre ce que chaque membre pense et a à dire. C’est également pour moi l’occasion d’évoquer l’intérêt de la personne protégée avec eux, ce qui me permet d’analyser les limites éventuelles quant au rôle que pourrait exercer la famille. Il y a une différence entre ce qui est véritablement de l’intérêt de la personne protégée et ce que se représentent les familles comme étant l’intérêt de la personne protégée par une décision de justice. Prenons comme exemple les demandes d’entrées en EHPAD sollicitées par la famille dans un contexte d’urgence ou d’opposition de la personne protégée, son consentement n’est alors pas systématiquement recherché et encore moins acquit. Rappelons qu’il s’agit de sa résidence principale et donc d’un droit fondamental qui lui est réservé. Ces questions sont très délicates et m’assurer que la famille peut être le garant du respect des libertés fondamentales de la personne protégée est un point central dans l’instruction des demandes.

Aida sadfi - Directrice Générale d’APREDIA – Société d’études indépendante Aïda Sadfi – Du point de vue des conseillers en gestion patrimoniale, la dimension conseil que j’évoquais questionne plusieurs aspects pour ces professions qui impactent nécessairement leurs clients et donc les familles concernées par la protection. Une des premières interrogations concerne la rémunération de ce type de services. C’est une vraie question parce qu’elle nécessite de définir clairement des process et des modalités à la fois adaptées à la spécificité de cette clientèle et efficientes pour ces métiers. Cela interroge également les organisations de ces professions. La désignation au sein, par exemple, des experts-comptables, des notaires, des conseillers en gestion patrimoniale … de personnes spécialisées dans ces thématiques pourraient être une perspective intéressante et utile pour les familles. C’est d’ailleurs l’esprit des travaux en cours portés par les autorités régulatrices du champ (AMF et ACPR). Enfin, au-delà la sensibilisation de ces métiers aux problématiques de la vulnérabilité, leur formation devrait s’accompagner d’une mise à disposition d’outils pour faciliter leurs pratiques au quotidien et aider la relation client avec ces familles et les personnes vulnérables elles-mêmes.

primauté familiale

Qu’en est-il, selon vous, du co-partage d’une mesure de protection entre la famille et un professionnel ?

Gilles Raoul-Cormeil, Professeur de Droit Privé à l’Université de Bretagne OccidentaleGilles Raoul-Cormeil – J’aurai tendance à dire que même si tout partage serait souhaitable, il y a des partages possibles et des partages impossibles. Deux types de partages seraient à distinguer :
le partage « cloisonné » ou le partage « égal ». Dans le premier cas de figure, certaines situations (achat d’un appareil dentaire, par exemple) nécessitent des passerelles entre le tuteur familial, qui serait protecteur des droits personnels et le tuteur professionnel, protecteur de son patrimoine. Mais ce partage reste possible. A l’inverse, en cas de partage égal, le tuteur familial n’étant pas soumis aux mêmes obligations que le tuteur professionnel, des situations de blocage seront inévitables. Se pose également la question de la rémunération des professionnels dans le cas de co-partage d’une mesure entre mission bénévole de la famille et mission rémunérée pour le professionnel.

Eric Martin juge des contentieux de la protectionEric Martin – S’agissant du partage spécifique d’une mesure de protection entre la famille et des professionnels, j’ai tardé à proposer ce type de dispositif, notamment par ce que ce n’était pas la « culture »
du territoire. Le co-partage peut être utile pour des situations bien précises, mais cela requiert chez les professionnels une plus grande souplesse de fonctionnement et du côté des familles, cette modalité les confronte à des réalités contraignantes. Le dialogue entre eux est indispensable pour que cela fonctionne.

 

Ce baromètre évoque pour la premières fois le rôle de protection par la famille, quelles perspectives vous inspirent ces travaux ?

Gilles Raoul-Cormeil, Professeur de Droit Privé à l’Université de Bretagne OccidentaleGilles Raoul-Cormeil – Amener les personnes interrogées à se projeter dans le rôle de protecteur des droits d’un proche vulnérable peut nous renseigner utilement sur leur perception et leur attitude face à de telles situations. Faire l’exercice de croiser ces premiers résultats en projetant à nouveau les Français dans le rôle de celui ou celle qui est devenu vulnérable et protégé serait particulièrement riche et pertinent. Envisagerions-nous de la même manière une restriction de certaines de nos libertés si cela nous concernait directement ? Aurions-nous, par exemple, la même définition du terme autonomie ? Serions-nous prêts à accepter toutes les conséquences que celle-ci suggère (choix du lieu de vie, de se marier…) selon que l’on se projette en tant que protecteur ou en tant que personne protégée ?

Eric Martin juge des contentieux de la protectionEric Martin – La désignation d’une famille comme tutrice ou curatrice ou habilitée de son proche vulnérable devrait s’accompagner d’un véritable « service après-vente » dans chaque juridiction. Trop souvent, je vois des familles, une fois désignées, en demande d’écoute et de réponses concrètes par rapport à leur mission. Dans ma juridiction, nous essayons de répondre à ces interrogations dans la mesure du possible, mais la création d’un réel service d’accompagnement ad hoc, sorte de guichet unique, serait une plus-value pour tous. Les familles en premier lieu, qui une fois conseillées, se sentiraient soutenues et plus à l’aise avec des tâches parfois techniques. L’institution judiciaire en second lieu pour laquelle le contrôle et le suivi des mesures seraient plus efficients. A ce titre, l’exemple des bureaux d’aides aux victimes peut s’avérer inspirant.

Aida sadfi - Directrice Générale d’APREDIA – Société d’études indépendante Aïda Sadfi – À l’avenir, il me semble difficile pour les métiers du chiffre de ne pas acquérir une expertise sur ces sujets : soit directement, par le développement d’une compétence propre, soit indirectement par la constitution d’un réseau d’acteurs déjà spécialisés qui pourraient leur venir en soutien dans l’expertise de certaines situations. Pour faire écho à votre étude, il me semble qu’une enquête auprès des professionnels du chiffre et du droit sur le sujet de la vulnérabilité serait particulièrement éclairante. Elle permettrait notamment de mieux comprendre les difficultés que rencontrent ces métiers, leurs pratiques face à cette clientèle, leur niveau de connaissance sur les dimensions juridiques, leurs perceptions de la vulnérabilité ou les freins liés à leurs organisations. Cela objectiverait un état des lieux qui n’existe pas et faciliterait le repérage de leurs attentes pour proposer des solutions adaptées au bénéfice des familles concernées.

 

 

France TUTELLE remercie chaleureusement ces trois experts pour leurs observations et leur partage d’expérience dans une volonté de faire bouger les lignes pour la condition des aidants et des tuteurs familiaux en France

Pour consulter le Baromètre dans son intégralité :

 

Télécharger la synthèse du Baromètre 2021 – Volet 2 de France TUTELLE

 

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